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FANTOMAS MEDIA
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28 février 2008

A merditer.

La merde, en dépit de sa nature, est moins "dégoûtante" qu'on pourrait le croire. Elle peut même être investie de connotations favorables : elle "porte bonheur" et la psychanalyse a montré comment elle mobilise l'intérêt des enfants et parfois des plus grands. Après tout, c'est une partie de nous-même, intégrée au rythme de notre corps et qui relève d'une fonction universelle et quotidienne. Mais c'est aussi la partie la plus "bassement matérielle" de notre organisme et qu'il rejette. C'est pourquoi c'est le symbole du "refus". (...) En tant que substantif, la merde est un individu "depourvu de valeur", de toute valeur, un rien-du-tout, un caca, de la crotte ; injures qui peuvent s'adresser différemment à une personne, à une chose, à une situation. Ton truc c'est de la merde, "ça ne vaut pas un clou", moins en raison de la sottise impuissante qui s'attache à la connerie, que du fait de l'absence de toute valeur, d'une "bassesse" et d'une "grossièreté" fondamentales au niveau desquelles la substance n'est plus susceptible d'aucun "affinage" et dont on ne peut, en conséquence, "plus rien tirer" et qui n'est bonne qu'à jeter. Et ceci nous amène à l'emmerdeur et au merdier tout différents de la merde, dans la mesure ou ils dérivent d'une autre composante sémantique du système. La merde est un objet qui doit être nettoyé et rejeté à la fois pour des raisons d'hygiène et de tabou. Or son évacuation pose problème : en particulier dans une société de pots de chambre et de chaises percées, qui ignorait la chasse d'eau et le tout-à-l'égout. Tous ceux qui ont été de "corvée de chiottes" à la caserne me comprendront, et ceux aussi qui se sont trouvés sans papier dans quelques "lieux" publics, etc. Et puis il y a les gosses embrennés, les vieillards gâteux, les malades, les trouilles intempestives, etc. On imagine que la ville ancienne, surpeuplée, étroite, dépourvue de la plupart des commodités, dut être un véritable merdier. Etre dans la merde jusqu'au cou ne devait être que l'expression hyperbolique d'une situation fort courante. La substance, par ailleurs, est rétive et collante ; il est difficile de s'en débarrasser. C'est ce qui en fait un objet particulièrement "importun". Tels sont, chacun dans leur genre, le merdeux et l'emmerdeur. Le statut de l'emmerdeur est très clair dans le système sémiologique que nous venons de décrire. Emmerder quelqu'un, c'est "l'importuner" de toutes les façons et sous toutes les formes que cette idée comporte. D'où l'emploi pronominal de s'emmerder au sens de "s'ennuyer". A ce propos, on ne confondra pas : tu m'emmerdes et je t'emmerde. Tu m'emmerdes signifie "tu m'ennuies (en me couvrant de merde)" ; je t'emmerde est une formule de refus, un synonyme de l'interjection merde ! ; le sens est non pas "je t'ennuie", mais "je te dis merde". Il s'agit d'un tour que certain linguiste a appellé délocutif et qui permet de donner forme verbale à des interjections, ainsi je vous salue signifie "je vous dis salut !". C'est la raison pourquoi on peut dire : tu me fais chier au sens de "tu fais que je suis emmerde", mais non pas je te fais chier qui n'entre pas dans la catégorie des délocutifs, sinon des déculotifs. Pierre Guiraud, Les Gros Mots, Presses Universitaires de France, coll. "Que sais-je?" (Excellent essai, qui analyse les "gros mots" à partir de l'opposition grossier/poli, au sens matériel puis se métaphorisant, se ramifiant dans les oppositions âme/corps, céleste/terrestre, noble/roturier etc., opposition qui s'inscrivent dans la tradition médievale chrétienne et courtoise. Notre actuel système de politesse puise dans ce systeme de valeur, qui devient une sorte de limon conscienciel : de nos jours, il arrive encore d'entendre parler de "noblesse de coeur", de "sentiments nobles", "d'esprit eleve", de "sublime" et les gros mots conservent leur potentiel obscène. A noter : on peut très facilement jouer avec cet essai et le détourner dans un sens carnavalesque, voilà aussi pourquoi j'en recommande sa lecture).
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