28 janvier 2008
[..] Il n'est pas opportun d'ouvrir ici un débat
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Il n'est pas opportun d'ouvrir ici un débat sur la poésie, sur la place qu'il convient de lui assigner dans le domaine de l'esprit, sur les vertus que l'on est en droit de lui reconnaître, sur les espérances qu'elle justifie.
Disons seulement qu'il a été donné à quelques-un des nôtres (et ce sera sans doute l'un des seuls titres de gloire de cette étrange époque) de restituer au poème sa valeur intrinsèque de provocation humaine, sa vertu immédiate de sommation entraînant, à la manière du défi, de l'insulte, une réponse sensiblement adéquate.
Le plus subversif n'est pas toujours celui qu'on pense, mais ce n'est pas sans raison que la bourgeoisie se sent réellement menacée par certains textes poétiques.
L'on connaît d'ailleurs la parade dont elle a usé pendant longtemps et qui ne laissait pas d'être assez habile.
Il lui suffisait de renforcer, par un apport doctrinal plus ou moins solide (métaphysique ou mystique de l'Art, de la Beauté, etc.), les habitudes spirituelles d'un lecteur tout juste au niveau de la rhétorique plus ou moins chatoyante qui lui tenait lieu de nourriture.
Tout poème se trouvait ainsi automatiquement relégué dans le domaine très spécial et particulièrement fermé de la contemplation esthétique.
Et il faut admettre que cette méthode de neutralisation n'a pas été sans connaître de véritables succès. Les plus grands en ont souffert : Lautréamont, Rimbaud. Elle réussit encore auprès de certains. Ouvrons les journaux. L'on se souvient de Comoedia lors de l'affaire Bunuel : "... un film de fantaisie", et voici Le Populaire : Ne prenez pas "au sérieux ces roulades poétiques", à propos de l'affaire Aragon.
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Le poème commence de jouer dans son sens plein. Mot pour mot, il n'y a plus de mot qui tienne. Le poème prend corps dans la vie sociale. Le poème incite désormais les défenseurs de l'ordre établi à user envers le poète de tous les moyens de répression réservés aux auteurs de tentatives subversives.
Mais du même coup, la bourgeoisie démasque la gratuité de l'idéologie de liberté qu'elle avait jusqu'ici si soigneusement entretenue. Cette liberté, elle l'a accordée au poète aussi longtemps qu'elle a pu fonder sur l'incompréhension du lecteur. La clairvoyance du lecteur entraîne mécaniquement l'intervention du juge et du policier.
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extrait de "La poésie transfigurée", 30 janvier 1932 (après l'affaire Aragon), signé par René MAGRITTE, E. L. T. MESENS, Paul NOUGE et Andre SOURIS.
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